« You’re killing it »

Ma fille m’a offert cette carte pour la fête des mères 🤩

You’re killing it👉 Tu déchires tout, tu pèses dans le game, t’es dans la place, t’assures de ouf, tu gères la fougère… (expression du Limousin)

in a peaceful, non-violent, awesome way👉 d’une manière pacifique, non-violente, et tellement géniale, cool, badass

J’ai immédiatement pensé à tous mes petits patients, et surtout à leurs parents. Parce que lorsqu’on accompagne les parents d’un enfant en souffrance relationnelle à l’école, on leur demande de poser sur ce dernier un regard qui dit exactement ce qui est écrit sur cette carte : « Tu vas réussir à gérer cette situation, tu peux le faire, tu peux résister aux attaques, sans violence, mais avec détermination ».

Parfois les parents disent :

• « Mais Madame, bien entendu que je crois en lui, en ses capacités, c’est mon enfant, je sais à quel point il est génial, et je le lui dis chaque jour ! Mais le monde est brutal et dangereux, il n’est pas prêt, il est trop fragile, je dois le protéger ! »

Alors ils construisent des murailles autour de leur enfant, et gardent la porte pour qu’il ne rencontre jamais aucun dragon, ni aucune gorgone. Ils se placent entre lui et le monde pour le protéger. C’est bien logique, car en effet, le monde n’est pas tendre, et ça fait si peur. Le problème c’est que cette protection est temporaire, et qu’à la longue, elle rend l’enfant paradoxalement encore plus vulnérable.

Ainsi protégé, l’enfant lit dans les yeux de ses parents tout l’amour qu’ils lui portent, mais il perçoit également, caché derrière ce message d’amour, un manque total de confiance en ses capacités : « Mon cœur, je reste devant la porte, entre toi et le monde, car tu n’es pas capable de te débrouiller, tu n’es pas en mesure d’affronter les dragons et les gorgones. » L’enfant finit alors par croire qu’il est incapable d’affronter les dangers du monde, il se pense fragile et vulnérable. Il faut savoir que les dragons et les gorgones se délectent de fragilité et de vulnérabilité.

Certains appellent cela l’effet Golem, par opposition à l’effet Pygmalion. L’effet Golem agit comme une prophétie auto-réalisatrice : Si je pense que tu n’es pas capable, que tu ne peux pas y arriver, alors tu finiras par penser que tu n’es pas capable, que tu ne peux pas y arriver.

C’est une histoire de confiance en l’autre, et de confiance en soi.

La confiance en soi ne se décrète pas, elle ne peut ni s’injecter ni s’ingérer (ce serait pourtant si pratique, un scénario à proposer à la série Black Mirror* !). La confiance en soi est une construction intime qui se nourrit des expériences vécues. Les murailles, même construites avec les meilleures intentions et beaucoup d’amour, entravent les expériences. L’absence d’expérience empêche la construction de la confiance en soi.

• « Mais Madame, bien entendu que j’ai conscience de l’importance des expériences, je sais qu’il faut prendre des risques, tomber parfois, puis se relever pour développer sa confiance en soi ! Mais alors il faudrait donc ouvrir la porte et le laisser se débrouiller seul avec les dragons et les gorgones qui peuplent le monde ? Ce serait l’abandonner ! »

Extrait de la série Black Mirror, saison 4, épisode 2 « Arkange ». C’est l’histoire d’une maman et de sa petite fille. Toutes deux vivent avec le grand-père maternelle. On sent beaucoup de complicité et d’amour entre les trois membres de cette famille. La maman veut protéger sa petite fille de tout évènement ou image qui pourrait susciter chez elle un stress, et peut-être un traumatisme. Le contrôle s’effectue à l’aide d’une puce électronique implantée dans le cerveau de la petite fille. Tout ce que voit, vit et ressent la petite fille est enregistré et retransmis en direct à la maman via une tablette. La maman peut décider d’appliquer un filtre pour atténuer, voire supprimer la réception visuelle et auditive par la petite fille des évènements stressants.

Discussion entre le grand-père et la maman à propos de ce dispositif :

• [le grand-père] : Comme j’ai 2000 ans bientôt, je me rappelle l’époque où on se contentait d’ouvrir la porte et de laisser les enfants s’amuser.

• [la maman] : Et je me rappelle m’être cassé le bras parce que tu ne voulais pas poser de barrière.

• Et comment il va aujourd’hui ton bras ?

• [fait un doigt d’honneur] Humm, ça peut aller [sourire]

Il existe une voie intermédiaire entre faire barrage pour protéger un enfant des dragons et gorgones et le laisser se débrouiller seul avec eux. C’est celle que je propose aux parents des enfants en souffrance relationnelle à l’école, elle n’est pas évidente, et demande du courage, de la détermination et une foi inconditionnelle dans les capacités de l’enfant.

Il s’agit, avant d’ouvrir la porte, d’aider l’enfant à construire un bouclier et quelques équipements défensifs, des outils pour domestiquer les dragons et gorgones. Il s’agit également, pour les courageux parents, de regarder partir leur enfant avec des yeux qui disent « You’re killing it, in a peaceful, non-violent and awesome way, cause you’re so strong, smart and cunning. » **

Ils pourraient même ajouter « Tu rencontreras sûrement des dragons et des gorgones, tu as tout ce qu’il faut pour les domestiquer, mais si tu te retrouves en grande difficulté avec l’un d’eux, alors tu pourras revenir vers nous, nous ne ferons rien sans ton accord, nous réfléchirons ensemble à la meilleure façon d’adapter tes équipements défensifs. »

*Black Mirror est une série télévisée britannique créée par Charlie Brooker, les épisodes présentent la mise en œuvre de technologies dystopiques. Il s’agit de nous faire réfléchir sur la place des technologies dans nos vies, la façon dont elles nous influencent et vice versa.

** « Tu déchires tout, d’une manière pacifique, non-violente et géniale, car tu es tellement fort, intelligent et rusé. »